• Si la parole n'a plus de valeur, à quoi sert de parler ?

    Désigné « Mot de l'année " 2016 par le très distingué Oxford Dictionnary, le mot "post-vérité" apparaît pourtant en 2004 pour dénoncer les tentatives de sape des climato-sceptiques. Ces derniers ont en effet eu une idée toute simple mais redoutablement efficace que l'on croirait transposée d'une célèbre maxime de Beaumarchais : « Nier, nier, nier, il en restera toujours quelque chose. » En effet, à force de nier la réalité et les faits avec conviction, on finit par semer le doute, y compris dans l'esprit des plus informés et des plus objectifs...

    Qu'est-ce qui explique que ce mot ait connu une telle notoriété cette année jusqu'à gagner les médias grand public ? Deux événements dont les effets devraient se faire sentir (encore) plus rapidement dans la vie quotidienne que ceux du réchauffement climatique : le Brexit et l'élection de Donald Trump. Dans les deux cas c'est la victoire éclatante de mensonges éhontés. Mensonges ou récits merveilleux jouant avec les peurs et les espoirs de ceux qui ont voté ? 

    La "post-vérité" c'est bien l'idée selon laquelle l'histoire que l'on raconte (et la façon dont on la raconte) a plus de valeur que les faits. 

    Une vieille histoire. C'était déjà le reproche fait en son temps par Socrate à Gorgias dans le dialogue éponyme de Platon. C'est depuis longtemps le reproche fait par la philosophie à la rhétorique et surtout à la sophistique, que l'on considère comme l'ancêtre des publicitaires et des communicants ; ces derniers ayant chevillée au corps la conviction que ce sont les histoires puissantes qui retiennent l'attention et emportent l'adhésion. 

    Ce n'est peut-être pas nouveau mais cela pose des questions abyssales.  Faut-il séduire pour convaincre ? Faut-il dire la vérité pour avoir raison ? Mais encore la vérité peut-elle être séduisante ? Politiques et communicants ne pourront pas faire l'économie d'une éthique afin d'y répondre, au risque de disparaître définitivement sous les fourches Caudines d'une opinion publique qui peut se laisser séduire par de jolis contes mais finit toujours par demander des comptes.
    Déjà, 68 % des Français pensent que seuls des hommes politiques qui mentent ou qui sont corrompus peuvent être élus. Ils sont également 60 % à considérer que les discours de marques sont trop intrusifs. 
    Bref, c'est comme si politiques et communicants étaient sans foi ni loi, des menteurs compulsifs bloquant la porte avec leur pied pour forcer les honnêtes gens à écouter des propos ineptes. Qui sur des promesses et un programme politique; qui sur des bénéfices de marques.

    Il y a toutefois une différence de taille entre le sort réservé à la politique et le sort réservé à la communication des marques. 

    Celle-ci semble promise à un plus bel avenir. En effet, alors que les citoyens ne déclarent pas s'informer sur les propositions des politiciens envers lesquels ils nourrissent une forme de présomption de culpabilité et d'inefficacité, ils déclarent mettre un point d'honneur à en savoir plus sur l'entreprise derrière le produit ou le service qu'ils achètent. A défaut de croire encore aux politiques, les gens croient encore aux marques car ils croient aux entreprises. En effet, 88 % des Français considèrent que les entreprises ont autant la responsabilité d'améliorer la société que les gouvernements.

    La vérité serait donc à géométrie variable, selon que l'on considère le politique ou l'entreprise, le citoyen ou le consommateur. 

    Comme si la notion de vérité n'avait de sens (et d'importance) qu'appliquée à des gens dont on attend quelque chose et au pouvoir d'agir desquels on croit. En tant que citoyens, les gens préfèrent les histoires à la vérité, car ils ne croient plus aux politiques. En tant que consommateurs, les gens préfèrent la vérité aux histoires, car ils croient à la nécessité et au pouvoir des entreprises. Cela donne aux communicants une ligne de conduite assez simple à tenir...

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