• S'ils sont tous pourris, peut-être que les marques aussi

    Dégagisme : n.m Maladie fortement contagieuse faisant rage au début de ce XXIème siècle et conduisant à la disparition de nombreux dirigeants politiques, qu’ils souffrent ou non de déficience éthique aigüe. Et si ce phénomène s’étendait aux entreprises ?

    « Vous votez pour moi, ils dégagent » martelait Jean-Luc Mélenchon pendant la dernière campagne présidentielle. « Dégagez-les tous » invectivait-il à l’occasion des législatives. Tout un programme.
    Si Jean-Luc Mélenchon n’a pas obtenu les résultats qu’il escomptait, il semble que son message ait néanmoins, dans une certaine mesure, trouvé un écho dans la population : au delà de son score honorable à la Présidentielle, le « dégagisme » prôné a bien eu lieu. En témoigne l’arrivée au pouvoir d’une formation politique qui n’existait pas un an plus tôt et le renouvellement à 75% de l’assemblée nationale, par des citoyens qui pour beaucoup sont novices en politique. 

    De quoi ce vilain néologisme de « dégagisme » est-il le nom ? 

    Le dégagisme est une réponse, radicale, au sentiment, tout aussi radical, du «tous pourris », la traduction d’un écœurement face au sentiment de corruption patente de nos élus. Mais pas seulement… Le dégagisme, c’est plus globalement une réaction épidermique à l’impression d’inadaptation au nouveau monde et d’inefficacité généralisée de nos élus. Une réaction qui profite à quiconque se présente comme en rupture, érigeant les acteurs du monde d’hier comme boucs-émissaires de tous les problèmes actuels. Le dégagisme, c’est une rhétorique simpliste, pourtant diablement efficace.

    Et si ce dégagisme s’étendait demain aux entreprises ?

    La question n’est pas anodine. Dans le dégagisme, ce ne sont pas seulement des hommes et des femmes qui sont rejetés, mais aussi à travers eux, des partis et des idées. Si des partis centenaires peuvent être menacés de disparition, alors des entreprises, tout aussi anciennes peuvent l’être.
    Les nombreux scandales qui ont émaillé l’actualité ces dernières années, de l’agroalimentaire à l’industrie automobile en passant par les opérateurs téléphoniques ou les groupes pétroliers ont instauré un climat de suspicion à l’égard des entreprises avec deux conséquences majeures.
    La première, l’effondrement des frontières, autrefois étanches, entre ce qui relevait de la marque et ce qui touchait au fonctionnement de l’entreprise : la RSE est devenu un argument de vente, à l’inverse, des suicides dans les usines de ses sous-traitants peuvent conduire au boycott de ses produits. Deuxième conséquence, directement liée à la première : 72% des français déclarent aujourd’hui privilégier les produits et les services d’entreprises qu’ils considèrent vertueux, à l’inverse, ils sont plus de 60% à déclarer éviter les achats auprès de marques qui ont un impact social ou environnemental négatif. De la suspicion au rejet, il n’y a qu’un pas. De là à parler de dégagisme…

    On nous rétorquera que nous en sommes encore loin… Qu’une véritable offre alternative aux leaders du marché est minoritaire et peu structurée : que les EnercoopC’est qui le patron ? ou le groupe Léa Nature sont loin de détrôner les EDF, Danone et Sephora.

    On mettra en avant, à juste titre que les leaders du marché ont senti le vent tourner. Qu’ils prennent en compte les nouvelles inquiétudes et attentes de leurs consommateurs. Qu’ils absorbent les acteurs émergents « de l’opposition », à l’instar de Danone avec Michel & Augustin et surtout de white wave ou the Coca Cola Company avec Innocent

    Pourtant, chaque jour émergent à travers le monde des start-ups mettant en avant une rhétorique, souvent creuse, de « disruption » ou « d’uberisation » ne disant qu'une seule et même chose : « nous pouvons faire mieux, moins cher, plus durable, plus efficace, plus éthique que les vieux acteurs installés sur le même créneau »… en d’autres termes : « rejoignez-nous, ils dégagent ». Des entreprises comme Tesla, Aibrnb ou Uber ont bouleversé des pans entiers de l’économie et des marchés que les barrières à l’entrée semblaient rendre imprenables.

    Et vous, quelle sera la start-up qui vous « dégagera » ?

    Avant de vous poser cette question, il est d’abord intéressant de noter que les entreprises résistent mieux que les politiques parce que leurs idées sont, paradoxalement, plus pérennes que les idées des politiques… et qu’elles sont beaucoup plus habituées au turnover dans leur personnel dirigeant que les partis. L’idée de l’entreprise et sa forme d’organisation prévalent sur les hommes, ce qui n’est pas toujours le cas en politique où le marketing des personnes a pris le pas sur le marketing des idées. Les entreprises, lorsqu’elles sont attaquées, le sont davantage sur le mode de l’inadaptation des usages que sur leurs idées. Tesla ne remet pas fondamentalement en cause l’idée de mobilité, elle en propose un nouvel usage.

    Avant de se poser cette question, il convient de se demander comment éviter de donner l’envie à des gens de vous « dégager ». En redéfinissant leurs produits et leurs procédés de production, en adoptant une vision humaniste, en communiquant efficacement sur leurs engagements, les marques peuvent se transformer, s'adapter aux nouvelles attentes du marché, projeter des visions claires et puissantes pour leur avenir. Partager ses valeurs et ses engagements en interne comme en externe n’est plus optionnel. C’est une première étape, cruciale et essentielle à l’adaptation au monde de demain. À condition de le faire avec sincérité et pertinence. 

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